Scandale en temps réel
Gaz de schiste : Nicolas Sarkozy joue les démineurs
De mémoire d'avocat, on n'a jamais vu cela. Pour la première fois de sa longue histoire minière, la France va abroger des permis de recherche accordés pourtant en toute légalité par son administration. Un cap franchi pour tenter de désamorcer, à quelques mois de la présidentielle, le dossier explosif du gaz de schiste. Visiblement, c'est le voyage de Nicolas Sarkozy, (A Alès, le mardi 4 octobre), qui a tout accéléré. Le président de la République se rend dans le Gard pour se féliciter du classement au Patrimoine mondial de l'Unesco du Parc national des Cévennes. Or, la beauté du site est menacée depuis l'octroi, en mars 2010, d'un permis de recherche de gaz de schiste, dit "permis de Nant" (*) à la firme texane Schuepbach Energy. Pas question pour M.Sarkozy, dont la popularité est en forte baisse, d'affronter la mobilisation du député européen José Bové et de ses amis Verts, très bien organisés sur le terrain.
Après une réunion d'arbitrage qui aurait eu lieu vendredi au soir à l'Elysée, il aurait donc été décidé d'abroger les deux permis de Schuepbach (celui de Nant et celui de Villeneuve-de-Berg) et peut-être celui de Total (permis de Montélimar). Mais il est possible que d'autres titres soient sur la sellette.La loi du 13 juillet 2011 interdit sur le territoire national l'utilisation de la technique de la fracturation hydraulique - dont les méfaits sur l'environnement peuvent être très importants -"pour l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux".Les titulaires de permis concernés avaient jusqu'au 13 septembre pour indiquer au gouvernement quel procédé ils comptaient employer pour forer les sous-sols. Une gageure dans la mesure où la fracturation hydraulique est, à l'heure actuelle, la seule technique d'extraction possible. Mais, certaines compagnies, à l'instar de Total, souhaitant conserver leur titre, proposer une "fracturation hydraulique propre".
L'administration a reçu 64 dossiers (sur 64 attendus). L'administration avait jusqu'au 13 octobre pour indiquer aux industriels le sort qui allait leur être réservé . Le voyage de Nicolas Sarkoy en a décidé autrement.
Plusieurs industriels contactés par Le Monde - Schuepbach, Total, l'américain Toreador, le canadien Vermillon - affirment n'être au courant de rien. De même, la liste des 64 rapports remis n'est toujours pas mise en ligne sur le site du ministère de l'industrie, alors que le gouvernement a promis qu'il les rendrait publics.En réalité, la rapidité de la décision a surpris jusqu'au ministère de l'industrie et au ministère de l'écologie. Il semble clair qu'Eric Besson et Nathalie Kosciusko-Morizet ont désormais perdu la main sur ce dossier.
Cette précipitation élyséenne va-t-elle réussir les esprits ? Rien n'est moins sûr. Nicolas Sarkozy se rend ce 4 octobre à Alès, où les habitants ne manqueront pas de lui rappeler l'existence de deux autres permis d'exploration : celui de la plaine d'Alès, détenu par l'anglais Bridgeoil et celui du Bassin d'Alès, accordé au suisse Mouvoil. Et quid du Bassin parisien, où plusieurs opérateurs se partagent des gisements d'huiles de schiste ?
Pour Jean-Paul Chanteguet, député PS de l'Indre et rapporteur de la nouvelle proposition de loi sur les gaz de schiste examinée le 6 octobre à l'Assemblée nationale, c'est"abracadabrantesque". Présenté par le groupe socialiste et les Verts, le texte vise à interdire purement et simplement l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels (dont font partie les gaz et huiles de schiste), les forages offshore, et à "abroger avec effet rétroactif (sic !) les permis exclusifs" qui avaient été délivrés.
"Ce qui se passe aujourd'hui à l'occasion de la visite du président de la République dans les Cévennes relève du bricolage, estime l'élu PS de l'Indre. Nous avions indiqué que la loi du 13 juillet était insuffisante et donnerait lieu à de multiples contestations. Cela risque d'être le permis de Total alors que le groupe dit ne pas vouloir utiliser la fracturation hydraulique ?"
Même son de cloche du côté de l'équipe de José Bové qui parle de "confusion totale". Sans oublier la réplique des opérateurs, qui ne resteront pas inertes face à cette remise en cause de la parole d'Etat. Si l'on imagine mal Total attaquer l'Etat français au contentieux, qui pourrait en empêcher le texan Schuepbach, par exemple ?
Confirmant par un communiqué de presse (ci-joint) l'abrogation de 3 PERMIS, le Ministère de l'Ecologie prétend que "ces 3 Permis représentent la totalité des permis demandés en vue de l'exploration des gisements de gaz de schiste. Pour les 61 autres permis en cours de validité, les détenteurs n'ont pas prévu de rechercher des gaz et huiles de schiste ou y ont renoncé". A SUIVRE ATTENTIVEMENT car si, effectivement, les arrêtés n'opèrent pas de distinction entre "conventionnels" et "non conventionnels", de telles allégations ne sont pas vérifiables.
Danièle Favari (veille juridique des GDS)
article du 3 octobre 2011